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Le coup de coeur de la rédaction : Le festival de Rouen Normandie du livre de jeunesse

Cet article a plus d'un an et est à considérer comme une archive
©Marceau Bellenger

Il était une fois à Rouen un festival du livre de jeunesse qui revenait chaque année à la froide saison. Un jour, le festival ne put se tenir à l’endroit habituel. Alors il se réinventa pour écrire une autre histoire entre réel et virtuel

Librairies closes, bibliothèques réduites au « click and collect », toute-puissance des écrans : les conséquences des restrictions liées à la pandémie n’ont pas eu raison du goût pour la lecture. Sans doute l’ont–elles même attisé. Car lire autorise un déconfinement par l’imaginaire. Cette ode à l’évasion, à l’onirique et aux histoires, le Festival de Rouen Normandie du livre de Jeunesse l’a gravé dans son ADN dès 1983, l’année de sa première édition. Une époque que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, comme le prouvent les murs du siège de la manifestation, à Rouen. Chaque visiteur empruntant l’escalier menant aux bureaux peut en attester, c’est une véritable exposition qui se dévoile à eux. Un voyage temporel via les nombreuses affiches des éditions précédentes. Grandes et colorées, toutes illustrent à leur manière la richesse constante des programmes concoctés au fil du temps.

Mais aujourd’hui, le festival écrit une histoire inédite dans sa conception et sa réalisation. Avec un allié surprenant : le numérique. Un coupable régulièrement stigmatisé pour sa facilité à déconcentrer ou éloigner le public, et souvent les jeunes, des livres tout en émoussant leur imaginaire. Ici, néanmoins, c’est le contraire qui est recherché. Car l’édition 2020 du festival s’appréciera en ligne du 1er au 11 décembre. La raison s’explique par le contexte sanitaire qui déloge l’évènement de ses quartiers habituels : les grandes salles de la Halle aux Toiles, et le reloge sur des écrans. Une « chambre » virtuelle épousant parfaitement la thématique de cette année, dont l’énoncé est « c’est ma chambre ! ». Un endroit qui parlera à tous les enfants ou ex-enfants du monde entier qui ont de tout temps écouté, lu ou façonné eux-mêmes des histoires dans cette pièce autant refuge qu’espace de jeu ou de rêverie. Et parce que le second confinement n’a pas ou peu concerné le domaine scolaire, ce dernier aura au moins la chance de profiter d’une animation vivante.

Directrice depuis 2017 du festival, Lamia Dezailles (en photo ci-dessus) détaille comment le défi d’un tel changement de cap a été relevé in extremis. « Comme cette année, nous ne pouvons pas faire des stands, il a fallu trouver une autre solution pour maintenir le lien avec les lecteurs et les professionnels du livre. Alors on a prévu des rencontres dans les écoles : primaires, collèges, lycées. Les auteurs iront directement dans les établissements. On a imaginé aussi une petite programmation virtuelle, sous format numérique ».

Une dizaine d’auteurs participent au festival et c’est Adrien Parlange qui est l’invité d’honneur. « Sa patte est très singulière. Il a été récompensé par de nombreux prix. À la Foire Internationale de Bologne, notamment. Marie Desplechin, autrice très reconnue, qui a écrit des livres dans des registres très différents sera également présente. On a aussi de jeunes auteurs comme Cinzia, qui a fait un album grand format très coloré et très agréable a lire ou Arnaud Nebbache, un auteur régional, qui expliquera aux enfants quel est le métier d’ auteur illustrateur. Il a réalisé les illustrations d un très joli roman : "Les mots de Mo’" ».

Les interventions en milieu scolaire ont commencé dès novembre. Carole Trébor (en photo ci-dessus), écrivaine récompensée à de multiples reprises pour ses livres et dont le dernier ouvrage, "Combien de pas jusqu'à la lune", est une biographie romancée de Katherine Johnson — héroïne afro-américaine méconnue de la conquête spatiale américaine — a ainsi élaboré un parcours autour de l’égalité filles-garçons. Et c’est avec enthousiasme qu’elle collabore avec les professeurs dans les établissements, comme lors de cet après-midi au Collège Robespierre de Saint-Étienne-du-Rouvray pour un atelier d’écriture destiné à des élèves de 3e. « Je leur fais écrire un petit roman biographique. C’est eux qui ont choisi une femme dont ils ont envie de raconter l’histoire. Ça permet de dépasser le côté documentaire. Car cette transposition en roman va les confronter à ce qu’est l’écriture romanesque ». Jeanne d’Arc, Louise Michel : les modèles choisis par les collégiens sont des figures bien connues des manuels d’histoire…et d’Internet. Un formidable puits de connaissances mais aussi d’approximations et de pièges pour des élèves tentés de copier-coller les fruits de leurs recherches. Alors il en résulte en début d’atelier une formule révélatrice, ayant presque valeur de mantra. Elle est énoncée par Aouatef Kabssi, la professeure de lettres : « Ne vous fiez pas à Wikipédia ! ».

Il est temps de commencer à réfléchir. Et c’est à un questionnement autour des vies de ces femmes illustres et de la créativité littéraire qu’invite Carole Trébor quand elle s’imagine parler à un élève. « En quoi c’est un roman ? Qu’est-ce que tu vas imaginer ? Des émotions ? Des dialogues ? Où est-ce que tu mets du suspense ? Qu’est-ce que tu dis aux lecteurs ? Qu’est-ce que tu dis pas ? Est-ce que tu vas raconter à la troisième personne ? Est-ce que tu te mets dans la tête en assumant la première personne ? Ici, on s’autorise l’imaginaire à partir de quelqu’un qui a existé ».

L’inspiration des jeunes entraîne un effet bénéfique : l’ouverture d’esprit sur l’égalité des sexes. « C’est très bien qu’ils écrivent des portraits romancés de femmes. Parce que très souvent, les garçons vont écrire sur des garçons et rarement sur des filles. Alors que les filles vont choisir des garçons ou des filles. Il n’y a pas besoin de grands discours féministes. Si les garçons vont être en empathie pour une femme, déjà c’est un pas vers quelque chose pour moi d’important dans le rapport hommes-femmes ». Et quand, en conclusion, on demande à l’écrivaine ce que représente un atelier d’écriture, la réponse suit cette logique. « Dans des ateliers d’écriture, on apprend à être des êtres humains ensemble ».

En plus de ces moments aussi pédagogiques que ludiques, Lamia Dezailles précise une nouveauté du festival : des « e-rencontres » virtuelles avec certains auteurs. « Elisabeth Dumont-Le Cornec qui a fait un très beau documentaire sur les maisons pour petits explorateurs ou encore Alain Puyssegur qui parle des « escape book ». Et il n’y en a pas que pour les enfants ! Une rencontre est en effet destinée aux parents. Animée par une pédiatre, elle portera sur le thème des écrans et du sommeil des enfants ».

Et parce que la lecture est aussi affaire de passion, des bénévoles prennent également part au festival pour proposer des ateliers et des lectures de plusieurs œuvres. Ces dernières promettant déjà des moments cocasses au vu de leur nom : "La Nuit où j’ai grandi" de Marc Rius et Antoine Robert, "Cher Donald Trump" de Sophie Siers et Anne Villeneuve ou encore "Il y a un cauchemar dans mon placard" de Mercer Mayer.

 

Pour en savoir plus, des extraits d’entretien en audio sont disponibles :

Lamia Dezailles, directrice du festival :

-       Les auteurs présents au festival

-       Le programme du festival

Carole Trébor, écrivaine :

-       Écrire et animations

-       Les ateliers d'écriture

-       Écriture et questionnements

-       Les rencontres avec les élèves

-       Bibliographie

-       Comment écrivez-vous ?

Aouatef Kabssi, professeur de lettres au Collège Robespierre de Saint-Étienne-du-Rouvray :

-       Le travail d'écriture des élèves

-       Les écrans sont-ils un danger pour l'imaginaire des jeunes ?

-       Comment les jeunes écrivent-ils ?

 

Le site du festival et sa page Facebook 

A noter aussi : "Sors de ta poche !" une édition collective réunissant une sélection des productions de chaque classe ainsi que des textes inédits écrits pour l’occasion par les auteurs intervenants paraîtra à la fin de l’année scolaire